D’innocents légumes peuvent se révéler une bombe à retardement pour l’économie.
Photo : N. Mislov
Une facture parfois salée !
Les coûts cachés du bio et de l’écologie
La mode de la nourriture «bio», du commerce équitable, de l’agriculture et de la pêche raisonnées sont fort sympathiques, mais leur impact pourrait bien se révéler dramatique. Le Club des économistes de la Madeleine, «think tank» bien connu de nos lecteurs, a décidé de tirer la sonnette d’alarme, et nous relayons ici ses arguments.
L’industrie agro-alimentaire et son circuit de distribution avaient d’abord accueilli la mode de l’écologie avec scepticisme et méfiance : ces nouvelles normes étaient coûteuses à mettre en place et forçaient les consommateurs à modifier leurs habitudes. À la fin des années 1990, cependant, le public, effrayé par les scandales alimentaires (vache folle, etc.) et soucieux de santé, est devenu friand de labels attestant d’un respect de la nature lors de la production des produits. Avec les labels de commerce dit «équitable», c’est même le respect des producteurs eux-mêmes qui est devenu un critère qualitatif.
Face à cet engouement, l’industrie a bien été forcée de suivre la mode, et très vite, elle a découvert que cela était bon pour elle, puisque le simple fait d’appeler un produit «bio» permet d’augmenter considérablement la marge qui est appliquée à son prix de vente final, et le public accepte ce surcoût, quel que soit le prix de vente véritable.
...les heures les plus sombres de notre histoire...
Mais cette poule aux œufs d’or pourrait, à terme, se révéler un piège. Tout d’abord, les réglementations ont fini par définir assez précisément le «bio», forçant de nombreux producteurs à renoncer aux packagings destinés à induire les consommateurs en erreur. À présent, «bio» signifie forcément «produit dans le respect des principes de l’agriculture biologique» : impossible de se défausser en disant, par exemple, que «bio» est le diminutif de «biotechnologie» ou de «biohazard». Ainsi, en 2005, la marque Danone avait été contrainte à renommer Activia ses yaourts dont le nom était, depuis la fin des années 1980, Bio. Un second coup dur a été porté à cette marque récemment, lorsqu’on lui a interdit de sous-entendre que ses produits Activia et Actimel étaient bons pour la santé. Certains avaient en effet noté que la fermentation de ces produits était assurée par une bactérie utilisée par les éleveurs de poulets ou de cochons comme activateurs de croissance (ils prennent jusqu’à 30% de poids en plus), le Lacto-bacillus Fermentum. Or dans le contexte actuel de politiquement correct et de chasse à l’obésité, qui nous rappelle les heures les plus sombres de notre histoire, ce genre d’effet est mal vu. Certains font pourtant remarquer, avec raison, que ce qui vaut pour les poulets et les cochons ne vaut pas nécessairement pour les humains, puisque ceux-ci ne sont, comme le rappelle notamment le révérend Graham Crow, autorité en morale, en économie, et en religion, « ni des poulets, ni des cochons ».
Pour obtenir le label «bio», les marques doivent à présent le mériter, et cela implique un surcoût énorme, qui se répercute parfois sur les marges, et non seulement sur les agriculteurs. Pire, la mode de l’«équitable» aggrave le problème en empêchant les marques de jouer sur l’exploitation ultra-concurrentielle des producteurs pour réduire leurs frais de production.
...Il y a plus grave...
« Tout cela pourrait sembler grave, mais il y a bien pire... », expliquent les Économistes de la Madeleine « ... car au delà de ces frais bien connus, le «bio» coûte à la société toute entière ». En effet, une nourriture ou des produits cosmétiques sains, sans pesticides, sans perturbateurs endocriniens, sans traces d’engrais chimiques, c’est aussi une nourriture qui peut faire considérablement baisser le nombre de cancers, de problèmes de surpoids, et donc, de clients pour l’industrie pharmaceutique ou pour les produits de régime et autres «alicaments».
On estime par exemple que le cancer coûte 30 milliards d’euros aux Français chaque année. Comment compenser une telle manne d’argent, si le cancer n’était plus une maladie si courante ? On peut appliquer ce calcul à de nombreuses autres maladies. Et n’oublions pas que la maladie permet de limiter le nombre de personnes qui atteignent l’âge de la retraite, et, partant, de réduire les cotisations sociales dont les sociétés doivent s’acquitter. Même si l’industrie agro-alimentaire et l’industrie pharmaceutique ne sont pas liées, il est donc capital qu’elles soient solidaires et marchent main dans la main, au service d’une cause commune.
Bien sûr, l’industrie y a réfléchi et a trouvé une parade : le bio non diététique. Il est en effet possible de produire un produit «bio», et même «équitable», qui maintienne ses consommateurs en mauvaise santé, grâce à l’usage massif de graisses suspectes, par exemple, ou grâce à l’ajout de sels et de sucres néfastes ou présent en quantité qui les rendent néfastes. Mais cela suffira-t-il ?
...Le rôle du médecin de famille...
De son côté, le monde politique s’est organisé en écartant les médecins, et notamment les médecins généralistes, de toute tentation de mener un travail de prévention. Occupés, parfois même abrutis par des tâches administratives absconses, forcés par la loi à pratiquer des tarifs qui ne leur laissent plus le temps de discuter avec les patients, les médecins trouvent difficilement l’occasion de donner des conseils sanitaires à leur clientèle, et les réformes successives de la sécurité sociale les mèneront naturellement à négliger leurs patients les plus pauvres, qui sont justement le cœur de cible de ce que certains appellent «la saine écologie de la malbouffe». Dérembourser les actes médicaux afin de faire disparaître le médecin de famille profite donc directement à l’industrie du médicament.
On le voit, la «question bio» est extrêmement préoccupante, et si elle semble sous contrôle, il n’est pas à exclure que l’opinion pâtisse d’un sursaut, car n’importe qui peut trouver ce genre d’informations sur Internet.
Pour cette raison, le Club des économistes de la Madeleine préconise une dérégulation générale des appellations de type «bio» ; un moratoire sur les normes sanitaires, ou pourquoi pas, l’application d’une mesure mécanique de diminution des normes : chaque fois qu’une nouvelle norme est créée, deux anciennes normes sont supprimées ; la dépénalisation de la publicité mensongère ; une autorisation claire et définitive des substances alimentaires ou médicamenteuses addictogènes, qui permettent aux industries concernées de s’inspirer du modèle de dépendance mis en place par l’industrie des communications ou par celle du tabac et permettent d’éviter la volatilité des consommateurs ; enfin, la suppression définitive des questions de diététique dans les programmes scolaires de technologie et de sciences naturelles.

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Maurice Horst Chevalier
Il change de nom après-guerre, ayant conclu un marché avec l’administration américaine