Franz Werhboten, une preuve vivante du potentiel qui s’offre à ceux qui ne craignent pas de prendre des initiatives.
Photo : Space hall of fame
Brooklyn - Berlin - Houston - Miami
Interview : L’étrange destin de Franz Werhboten
Franz Werhboten est un des piliers de la science américaine d’après-guerre. Responsable technique de plusieurs projets pour la Nasa, il décide de passer au secteur privé en 1980 et devient consultant du département de création des animations scientifiques au Epcot Center (ouvert en 1982 à Lake Buena Vista, Floride). On pensait tout savoir sur ce criminel de guerre repenti, mais celui-ci a récemment exprimé l’envie de faire le point sur sa carrière et sur sa biographie. Il a choisi les colonnes de Scientists of America pour le faire.
S.O.A.: ... Vous me disiez « c’est l’heure du bilan, l’heure de la vérité »
F.W.: J’ai quatre-vingt-six ans, il est temps en effet.
Vous ne craignez pas de représailles ?
À mon âge on ne craint plus grand chose vous savez. Et puis tout ça c’est du passé, du secret de polichinelle aussi. Et puis les jeunes s’en moquent, les vieux pardonnent, tout le monde s’en fiche. Est-ce que vous savez que 40% des jeunes américains pensent que la seconde guerre mondiale a opposé les États-Unis à l’URSS ? Incroyable non ? Dans ces conditions, mon témoignage n’apportera pas grand chose.
Bon. Commençons. Donc tout débute pour vous en 1945, dans une ancienne mine de sel de Silésie, où l’armée nazie teste des réacteurs d’avions bombardiers sans pilotes, ce que nous appelons aujourd’hui des missiles
Oui, c’est ça. Des missiles, assez différents de ceux du Doktor Von Braunn, reposant sur une technologie tout à fait inédite (il rit). Une technologie extra-terrestre en fait (rires). Enfin c’est ce que j’ai dit aux gradés qui m’ont recueilli : la mine s’était effondrée, il était absolument impossible d’y entrer. J’ai expliqué que j’étais le seul survivant, que je disposais de certains secrets, que je voulais passer un contrat avec l’administration américaine... En fait les américains n’étaient pas censés se trouver là, ils étaient à la recherche de technologies militaires secrètes mais il leur a fallu déguerpir assez rapidement car les Soviets arrivaient. L’endroit est devenu une base secrète soviétique par la suite d’ailleurs.
Une histoire incroyable. Mais tout à l’heure vous me disiez « ça c’est l’histoire officielle, il y a une autre vérité »
Oui. Une autre vérité. Enfin tout ce que j’ai dit jusqu’ici est exact : l’armée américaine m’a recueilli dans une mine de sel de Silésie. Ce que j’ai tu jusqu’aujourd’hui, c’est que j’étais né à Brooklyn, que je ne parlais pas trois mots d’allemand et que j’étais un soldat américain porté disparu.
Vous voulez dire que vous n’étiez pas allemand ?
Ah non, ça, je n’étais pas allemand. Je vous le dis, j’étais un soldat de l’armée américaine, officiellement porté disparu. Mais je savais qu’il y avait un créneau. Vous savez, les grands financiers disent toujours « c’est quand les actions baissent qu’il faut acheter ». Là c’est pareil : dans la débâcle des dernières heures du régime nazi, être un allemand pouvait être avantageux. En tant que simple soldat, j’avais vu comme on traitait nos prisonniers scientifiques allemands : comme des officiers supérieurs ! Bien nourris, confortablement installés, ils se faisaient gentiment débrieffer en attendant leur naturalisation.
J’étais parti un peu en avance des troupes. J’avais troqué mon uniforme contre les vêtements et les lunettes rondes d’un maitre d’école, j’avais jeté mes papiers... Quand j’ai accueilli l’US army, je me suis contenté de parler avec un accent allemand assez épais, je beuglais avec énervement des choses qui ne voulaient rien dire, des mots que j’avais retenu sans en connaitre le sens : « Kunsthalle ! Zeitung ! Touristenvisum ! ». Pour éviter d’avoir à parler trop, j’ai simulé une espèce de crise de nerfs. Par chance il n’y avait pas d’interprète. Par chance aussi, on ne m’a pas administré de sédatif : au réveil, j’aurais parlé avec l’accent de Brooklyn, ça se serait très mal fini pour moi. Bon, on m’a quand même mis une camisole, et même un baillon, histoire que mon transfert vers les États-Unis soit le plus discret possible. Dans le sous-marin qui m’a emmené, on m’a mis avec un allemand, un vrai cette fois, qui me chuchotait des choses dans sa langue : je pense qu’il voulait comploter, préparer une évasion, un sabotage ou que sais-je. Je ne lui répondais pas, ou je me contentais de dire "ja!" et "nein!", en prenant un air mystérieux, mais ça a fini par l’énerver. Alors j’ai hurlé « Alarm ! Alarm ! Dis man ist eine zabotteur ! Zabottage ! ». Le type a compris que je ne parlais pas plus allemand qu’il ne parlait anglais, il a essayé de m’étrangler tout en apostrophant les marines qui n’y comprenaient rien. Du coup un petit gars du Kansas lui a fait un petit trou entre les deux yeux et on n’en n’a plus parlé (rires).
Mais... Votre carrière...? Vous étiez scientifique avant d’entrer dans l’armée ?
Ah non, ça non, je n’étais pas scientifique. J’étais l’employé d’un épicier. Enfin plus ou moins car je n’étais pas très sérieux, j’arrivais en retard et j’étais un peu familier avec les dames. En fait avant de m’engager [dans l’armée, ndlr], je m’étais fait virer à coup de pieds au derrière !
Et vous voilà propulsé savant nazi...
Oui. Le destin joue des tours. Donc une fois de retour aux États-Unis, j’explique que je veux la nationalité, et je dis que je veux perdre mon accent allemand, que je ne veux plus jamais m’exprimer dans cette langue. On m’a présenté un orthophoniste, pour l’accent, mais j’ai tout fait pour ne pas le perdre, à tel point que, aujourd’hui, je serais incapable de parler ma langue natale autrement qu’avec un accent allemand. J’ai aussi fait en sorte de ponctuer mes phrases par des "Ach!" et des "Zo!", je dis les noms des villes allemandes en allemand et je fais toujours semblant de compter en allemand - ce que je suis en vérité incapable de faire au delà du chiffre 11.
Et on ne vous a jamais démasqué ? Jamais ? Pendant votre travail, personne ne s’est douté ?
Une fois ça n’est pas passé loin. J’ai acheté une méthode d’apprentissage de l’allemand dans une librairie, c’était sous Eisenhower. Bon, je vais pour payer, et là, en face de moi, le général dont dépendait mon laboratoire qui me voit et qui vient pour me parler. J’étais pourtant parti acheter le livre à Port Arthur ! La tuile. Donc il vient me parler, j’essaie de cacher le bouquin tout en réfléchissant très vite aux mensonges que je pouvais inventer : c’est pour un ami... c’est pour voir comment on enseigne l’allemand aux anglophones... Je connais j’auteur du livre, etc. Mais là, miracle, le gradé me parle dix minutes, m’accompagne en caisse et jusqu’à mon Oldsmobile sans jamais faire attention à ce que j’ai acheté, sans me poser la moindre question. En fait il était dans autre chose, il était sous pression, on lui demandait des résultats... On préparait quelque chose d’énorme il faut dire, c’étaient les tous débuts de la Nasa, on partait de rien et on nous demandait presque... La Lune ! (rires) Enfin s’il avait été un tout petit peu curieux, j’étais fini, c’était la cour martiale et je ne pense pas que je serais là pour vous en parler.
Wow. Et maintenant, il faut que vous m’en disiez plus sur votre activité de scientifique. Comment un épicier, enfin même pas un vrai épicier, peut-il devenir un des plus importants ingénieurs de la Nasa ?
Vous savez, dans les sciences, il y a plusieurs degrés. Il y a d’abord les professeurs de high school et junior high (note du traducteur : équivalent au lycée et au collège), à qui on demande de tout savoir ! Après, plus on monte et plus tout le monde est persuadé qu’on sait tout ce qu’on devrait savoir, on s’en tire avec des paraboles, des phrases fumeuses et des petits traits dessinés dans le sable. D’ailleurs, comme il est presque insultant de demander à un grand mathématicien si deux et deux font quatre, personne ne le fait. Quand mes assistants me disaient « cet appareil est impossible à fabriquer car ça défie les lois de la physique », je me contentais de faire un petit sourire et, avec mon plus bel accent allemand, je disais quelque chose comme « cherche encore... La solution est bien plus proche que tu ne le penses... Je ne vais pas t’aider tu sais, il faut que ça vienne de toi ». Mon travail consistait surtout à faire de longues balades méditatives avec les membres de mon équipe : pour eux j’étais un sage, il me suffisait de jeter des cailloux dans l’eau du canal, de retirer mes chaussettes et mes chaussures ou encore de commenter la saison des Houston Astros pour les mettre dans un état catatonique.
J’ai refusé toutes les propositions de chaires d’enseignant, car je sentais bien que là je ne m’en tirerais pas avec des sourires malicieux, des « Ach Zo! » et des citations de mémoire d’Astounding Stories ou de Popular Mechanics.
À côté de ça, j’ai dirigé très honnêtement mon service, je me suis occupé des questions de budget et d’organisation plutôt mieux que les autres chefs de service. Voilà, ça a duré longtemps comme ça et je n’ai rien à me reprocher, je pense que j’ai très bien servi mon pays tout ce temps.
Et vous avez finalement quitté la nasa
Oui. Vers la fin des années 70, on passait à autre chose, avec la navette, l’effervescence autour des satellites civils... Le temps des pionniers, c’était fini. Je suis devenu consultant chez Disney pour préparer l’ouverture du Epcot Center..., une autre expérience, une autre vie, un autre combat. J’avais peur que ça soit plus difficile que de diriger un laboratoire de la Nasa, mais en réalité, pas du tout, j’étais engagé comme "caution scientifique", c’est à dire pour mon nom. On en parlera peut-être une autre fois.
Eh bien merci Franz Werhboten.
C’est moi qui vous remercie.
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Maurice Horst Chevalier
Il change de nom après-guerre, ayant conclu un marché avec l’administration américaine