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Attention petit rouge-gorge, Félix n’est pas loin !
Photo : (cc-by-sa-2.0) par Bill Tyne (dit "wit")
Fiche pratique
Que faire d’un oiseau blessé ?

Un de nos jeunes lecteurs nous écrit une lettre émouvante dont voici un extrait :
« Bonjour. Je m’appelle Jérémie, j’ai huit ans, j’habite à Clamart et j’ai trouvé un rouge-gorge blessé par mon chat Félix [...] J’essaie de le nourrir, mais il ne semble pas vouloir de ce que je lui propose. Son aile m’a l’air abimée, je ne sais pas s’il pourra voler à nouveau. Que faire ? Que mange un rouge-gorge ? Je pensais qu’il mangeait des vers mais il n’en veut pas. Est-ce que je dois aller voir un vétérinaire ou la S.P.A. ? Mon papi me dit que je n’ai qu’à le manger et que c’est ce qu’il faisait pendant la guerre ».
Nous ne pouvions laisser ces questions sans réponse.

Très cher Jérémie, sache d’abord qu’un rouge-gorge est un animal extrêmement petit. Par conséquent, il n’est pas vraiment intéressant en tant que nourriture pour des hommes et même les chats préfèrent les croquettes : tu vois que ton propre matou a abandonné l’oiseau, sitôt capturé, sans le manger. Au passage, je te rassure, ton chat n’est ni méchant ni cruel, c’est simplement son instinct qui le pousse à chasser de manière compulsive bien qu’il n’ait pas besoin de tuer pour s’alimenter. Donc les rouge-gorges ne se mangent pas. Les plus petits oiseaux qui se mangent, en dehors des ortolans qui sont une espèce protégée, ce sont les pigeons ou les cailles, qui malgré leur taille plus importante ne sont pas très agréables à consommer du fait de leur grand nombre de petits os. Au goût, en revanche, ce sont des mets fins et agréables, et sans doute est-ce aussi le cas du rouge-gorge. Si tu décides de le manger malgré tout, pense à le déplumer et surtout, à le cuire, car la viande d’oiseau est caoutchouteuse lorsqu’elle n’est pas cuite. La cuisson d’un oiseau aussi petit est une affaire assez délicate, n’essaie pas de le faire sans demander de l’aide à ta maman.

Tu parles d’aller voir un vétérinaire. Les vétérinaires sont effectivement des médecins spécialisés dans les soins aux animaux. En ville, les vétérinaires soignent essentiellement des chats et des chiens. Si tu amènes un oiseau abimé à un vétérinaire, celui-ci t’expliquera avec beaucoup d’émotion qu’il est impossible de le soigner et qu’il faut lui faire une piqure létale afin de « l’envoyer au ciel ». La piqure létale est une piqure qui tue de manière très douce : l’animal commence à s’assoupir, puis il perd définitivement conscience. À ce moment là, il imagine sans doute de très belles choses, il revoit peut-être le bec de sa maman lorsque cette dernière lui amenait des vers de terre gigotants, ou il se rappelle peut-être de ses fiancées, de son premier nid, enfin de choses agréables. Note bien que l’on n’est pas certain de ce que pensent ou voient les animaux au moment de décéder.
Ses fonctions cérébrales et son cœur cessent ensuite de fonctionner et il est tout à fait mort. Le vétérinaire te propose alors d’incinérer l’animal.
Avant d’opter pour cette solution, je te recommande d’en parler à tes parents, car il y a une question financière : en effet, pour faire une piqure à un oiseau, un vétérinaire réclamera un minimum de 60 euros, à payer d’avance en général. Pour l’incinération, il est possible qu’il te fasse payer aussi (tous ne le font pas) une somme pouvant aller jusqu’à 60 autres euros. Cela fait cher pour un rouge-gorge. Apprends au passage que certains vétérinaires acceptent d’être payés pour incinérer des animaux mais, finalement, se contentent de les jeter dans une poubelle (il est théoriquement illégal de jeter un cadavre d’animal aux ordures mais, pour un petit oiseau, ça ne pose pas de problème véritable), car faire fonctionner un incinérateur a un coût non-négligeable. Si tu choisis de faire incinérer ton rouge-gorge, insiste donc pour assister à sa crémation afin de vérifier qu’elle a bien lieu et que tu ne t’es pas fait voler.

Tu peux aussi tenter de rentrer en contact avec des associations d’écologistes végétariens spécialisés dans les soins apportés aux oiseaux. Il y a malheureusement peu de chances que ces derniers règlent ton problème, ils préfèrent en effet s’occuper d’oiseaux plus grands, moins communs, plus médiatiques et, surtout, plus symboliques du mal que l’homme fait aux autres espèces animales : cormorans mazoutés, goélands déboussolés, rapaces électrocutés, etc.

Il ne te reste donc pas beaucoup de choses à faire. D’abord, tu peux gronder ton chat du gâchis dont il est responsable : à cause de lui, un animal meurt pour rien. Prends bien garde à punir ton chat tout de suite, car les chats ne sont pas très intelligents et ne savent pas faire le lien entre les causes et les effets si ceux-ci sont séparés par un long laps de temps. Pour punir efficacement Félix, tu dois donc le prendre sur le fait, lui montrer l’oiseau, puis lui donner des tapes sur le haut des cuisses (qu’on ne peut pas appeler des fesses, la morphologie des chats étant bien différente de la nôtre). Cela ne lui fait sans doute pas mal mais ça le vexe énormément. À l’avenir, avant de laisser son instinct de prédateur parler, Félix se rappellera confusément que cela peut avoir des conséquences désagréables et son hésitation, même très brève, laissera aux oiseaux le temps de lui échapper. Et si ce n’est pas le cas, il est tout de même probable que Félix hésitera à te montrer ses prochains trophées de chasse, t’épargnant donc le triste spectacle d’un animal agonisant et la lourde tâche de t’en occuper. Tu peux aussi arroser ton chat avec le tuyau d’arrosage. Les chats détestent ça et le résultat vaut généralement une photographie, ces animaux étant ridicules à voir lorsqu’ils sont trempés. Si tu t’amuses à tremper ton chat pour le punir, demande de l’aide à ta maman, car il faut bien faire attention à la panique qui saisit l’animal lorsqu’on lui administre une douche froide : il se peut qu’il donne involontairement des coups de griffes au passage.

Nous voici donc revenus à notre point de départ : tu dois t’occuper seul de ton oiseau blessé. Dans les livres pour enfants, on apprend qu’un oiseau peut être soigné et qu’après avoir repris des forces, il s’envole au loin. Dans la pratique c’est un peu différent, car un oiseau mal en point a peu de chances de survie dans la chambre d’un enfant de 8 ans. En effet, tes gestes et ton odeur le terrifient. La présence de ton chat dans les parage ne le rassure pas non plus. Tout cela lui coupe l’appétit et les vers de terre que tu lui apportes ne le tentent pas du tout, il se laisse mourir de faim. Sa blessure peut s’infecter, et de toute façon, un rouge-gorge qui n’a plus qu’une aile valide n’a aucun avenir dans son milieu naturel. S’il était déjà malade avant que Félix ne l’attrape (les chats capturent en priorité les animaux qui manquent de forces) ou s’il est trop jeune pour survivre sans ses parents, alors sois tout à fait certain qu’il est condamné, avec ou sans ton aide.

Par conséquent, il faut que tu entames dès maintenant un sérieux travail de deuil, comme on dit, si tu t’es attaché affectivement à ce petit oiseau. Tu dois accepter son funeste destin et cela peut même constituer un entrainement pour toute ta vie, car je préfère te prévenir, au cours de ton existence, tu verras décéder de nombreuses personnes sans pouvoir rien faire pour elles. Et un jour, tu t’en doutes, ce sera à ton tour de mourir, c’est encore une idée à laquelle il faudra que tu essaies de t’habituer.
J’ai une astuce qui peut te permettre de ne pas trop regretter ton rouge-gorge. Elle consiste à garder en mémoire qu’un oiseau n’est pas qu’une petite boule de plumes mignonne à regarder et dont le cœur bat très vite. C’est aussi un animal carnivore, stupide et d’une grande cruauté qui ne s’embarrasse pas de questions existentielles lorsqu’il est face à un beau papillon, à une joyeuse sauterelle ou à un gentil ver de terre : il les avale gloutonnement, l’œil vide de toute émotion. Sois certain que s’il faisait ta taille et toi la sienne, et qu’il te trouvait blessé, il ne ferait preuve d’aucune sorte de pitié à ton égard et te décapiterait d’un coup de bec.


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Seymour Silk
Sexologue de renom, il découvre le milieu carcéral dont il ne tarde pas à devenir un spécialiste


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