Tondeur... tueur ?
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Un problème saisonnier enfin étudié sérieusement
Le bruit dominical d’une tondeuse à gazon augmente le risque d’infarctus du myocarde
À certaines périodes de l’année, 35 à 45% des infarctus du myocarde seraient provoqués par le stress engendré par le bruit des tondeuses à gazon le dimanche matin. Ce chiffre vertigineux a longtemps été occulté par les sociétés qui commercialisent ou qui fabriquent des tondeuses à gazon, ainsi que par les associations d’horticulteurs amateurs. Le docteur Mike Hewlett Kiwe, du Green Hill county College dans l’état du Vermont est pourtant certain de ses conclusions.
Les mécanismes qui entrent en jeu sont complexes. Bien entendu, le stress est un facteur banal dans l’irruption d’accidents cardio-vasculaires, mais la tondeuse à gazon n’est pas l’unique forme de stress ressentie par les habitants des zones géographiques péri-urbaines où sévissent les propriétaires de tondeuses à gazon et où celles-ci ont l’effet que nous avons décrit.
...jour de repos...
Le premier point frappant, c’est le jour de la semaine qui voit tant de décès prématurés être causés par l’entretien des jardins. Jour dit « du seigneur » chez les catholiques et les protestants (qui cherchaient à se démarquer des juifs dont le jour saint est le samedi. La même politique conduira les musulmans à choisir le vendredi quelques siècles plus tard), le dimanche est devenu, dans tout le monde occidental puis dans de nombreux pays qui sont inféodés à son rythme, un jour de repos absolu. Dans certains pays, ce repos est même étendu à la totalité des commerces et à tous les services à l’exception des services d’urgence (médecine, pompiers, police) et des services religieux. Même si l’origine religieuse du dimanche chômé s’est parfois perdue, la pratique en est restée sacrée.
Traditionnellement, donc, les gens qui travaillent toute la semaine durant profitent du dimanche pour se reposer. Souvent, c’est le jour qu’ils réservent à leur vie de famille, aux grands repas, aux excursions et aux hobbies, parmi lesquels le jardinage ou le bricolage tiennent une grande place. Mais c’est aussi le jour de la grasse-matinée, c’est à dire le jour de la semaine où l’on s’autorise à se lever tard. Pour cette raison d’ailleurs, on s’autorise aussi souvent à se coucher tard le jour qui précède, c’est à dire le samedi soir.
Une frontière se dessine alors bien souvent entre deux catégories de personnes : celles qui profitent de leur dimanche matin pour tondre leur gazon ou faire du bricolage et celles qui aimeraient en profiter pour dormir plus qu’ils ne le font les autres jours afin de récupérer non seulement de leur semaine mais parfois aussi de leurs excès de la veille.
Mais le dimanche, c’est aussi le jour où les véhicules à moteur circulent le moins, un jour plus silencieux mais aussi bien moins pollué puisque l’air que l’on respire contient en général plus d’oxygène et moins de gaz carbonique que le reste de la semaine.
...scénario catastrophe...
Tous les ingrédients sont réunis pour un véritable scénario catastrophe. Fatigué d’une soirée trop arrosée, le sujet victime — car il s’agit bien de cela — est dans un état déjà fragile, mais son cœur, sollicité par le trop-plein d’oxygène que constitue un air de meilleure qualité, en est d’autant plus exténué. Tout cela ne serait rien s’il n’y avait la tondeuse a gazon, engin mécanique imperturbable que manipule le second sujet que nous nommerons le bourreau.
En faisant bruyamment connaitre son activité, le tondeur transmet au dormeur un grand nombre d’informations qui sont autant de facteurs de stress. La première information, c’est celle de son existence. On sait depuis de fameuses expériences menées par des psychologues sociaux que la présence même d’autres êtres humains, qui sont potentiellement nos rivaux, constitue une gène pour chacun d’entre nous, et cela est d’autant plus vrai que ces voisins empiètent sur notre espace vital, que ce dernier soit géographique ou acoustique.
Mais ça ne s’arrête pas là. Puisque celui qui passe la tondeuse n’ignore pas qu’il peut déranger le dimanche matin, son activité est aussi perçue comme une démonstration de mépris, comme s’il voulait dire « Je suis satisfait de moi-même en vous gênant, j’existe en vous nuisant ». Une telle attitude, même inconsciente, confine à la déclaration de guerre et cela n’échappe à personne.
La troisième information importante que véhicule le ronronnement d’une tondeuse, c’est ce qui sépare le dormeur du tondeur, à savoir l’activité/inactivité. Entendant son voisin passer la tondeuse à gazon, le dormeur prend douloureusement conscience — d’autant plus douloureusement que le son en est pénible — de son apathie. Il se souvient que lui aussi devrait être en train de s’occuper de son jardin, il se remémore peut-être l’état lamentable dans lequel il s’est trouvé la veille et qui est la cause de son abrutissement matinal : le dimanche matin est son jour de liberté mais il le gâche en dormant et en maintenant sa tête sous sa couette ou sous son oreiller pour entendre le moins possible le bruit du moteur de la tondeuse à gazon de son voisin.
Nous expérimentons tous alternativement l’une ou l’autre de ces deux situations dominicales, et la plupart du temps, nous y survivons. Mais voilà, une fois de temps en temps, le cœur lâche : trop d’oxygène, trop d’énergie consacrée à maudire son voisin, et parfois même trop de tonus dans l’activité de tonte du gazon — car les tondeurs eux aussi sont victimes de plus d’infarctus du myocarde le dimanche matin — et c’est assez pour que la machine s’emballe, produise en excès de l’adrénaline et du cortisol et déclenche une réaction neuroendocrinienne souvent fatale.
Lorsque tous les facteurs évoqués (oxygène, bruit, arrières-pensées de mauvais voisinage, sentiment de culpabilité et questions d’espace vital) ne sont pas réunis, l’incidence sur les accidents cardiaques chute presque totalement. C’est ainsi que les souris de laboratoire, qui peuvent souffrir du bruit et des questions d’espace vital mais ne ressentent pas de sentiment de culpabilité au fait d’être inactives, ne sont aucunement sujettes à ce syndrome de la tondeuse du dimanche matin. Les personnes malentendantes, qui elles peuvent souffrir de ce sentiment de culpabilité mais ne souffrent pas du bruit, y sont aussi très résistantes. Enfin, lorsque toutes les conditions sont réunies à l’exception du jour de la semaine, l’incidence mortelle est elle aussi proche du zéro.
Pour l’instant, les autorités sanitaires se refusent à règlementer le passage de la tondeuse à gazon le dimanche matin mais gageons que les dernières recherches les forceront à en tenir compte.

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Lisa Kim Okazaki
Fan de sciences, ancienne résidente invitée à l’Université de Stanford